L'Histoire de la Maison de Champagne Pol Roger
«N’oubliez pas gentlemen que ce n’est pas seulement pour la France que nous nous battons, mais aussi pour le champagne! » aurait déclaré Winston Churchill dans un discours destiné à encourager ses troupes pendant la seconde guerre mondiale. On imagine que l’homme d’état estimait que la France méritait d’être sauvée en grande partie grâce aux bulles qu’elle produit.
Churchill adorait l'excellent champagne, notamment le Pol Roger. Si, comme le prétend la rumeur, il a effectivement bu deux bouteilles par jour depuis sa première commande, en 1908, jusqu'à sa mort, il a consommé au total 42 000 bouteilles. Ajoutons à cela le petit shot dilué du matin de Johnnie Walker, surnommé «Papa's cocktail», les whiskies écossais de l'apéritif, les repas liquides et les digestifs couronnés par un highball, et c'est un miracle qu'il ait atteint les 90 ans, sans parler de guider la Grande-Bretagne à travers ses « heures sombres ». Toutefois, tout comme les 250 000 cigares qu'il aurait fumés, les estimations de sa consommation ont surtout pour but d'alimenter la légende d'un homme hors du commun.
Pol Roger fonde sa Maison dans le village familial d'Aÿ en 1849. Trois ans plus tard, il s'installe à Épernay sous le nom de « Champagne Roger » et dirige l'entreprise jusqu'à ce que ses deux fils reprennent les rênes. En 1899, Georges et Maurice, qui adoptent le nom «Pol-Roger», héritent donc d'une affaire florissante, qui détient, depuis 1877, la licence de fournisseur royal accordée par la reine Victoria. Leur meilleur champagne, servi dans les grands hôtels des Champs-Élysées et du West End chic de Londres, l'est aussi à la Chambre des communes, où Winston Churchill le goûte probablement pour la première fois.
Maire d'Épernay, Maurice Pol-Roger voit sa commune envahie par les Allemands, le 4 septembre 1914. Il est pris en otage et menacé d'exécution à quatre reprises avant le départ des troupes, une semaine plus tard, suite à la bataille de la Marne.
Aussitôt, la Maison Pol Roger et ses amis de Perrier-Jouët se lancent dans les vendanges alors que les bombes ne cessent de siffler dans le lointain. Pendant toute la guerre, ils ne manqueront ainsi pas une seule récolte. Si Épernay ne fut pas aussi dévasté que Reims, une centaine de bombes tombèrent sur le village un jour d'été 1917, et toute la population se réfugia dans les caves de Pol Roger et de Perrier-Jouët.
Le lien avec Churchill sera consolidé pendant la guerre suivante, lors d'une réception à Paris marquant la libération de la ville, en août 1944. Le grand homme fut alors captivé par Odette Pol-Roger, belle-fille de Maurice et beauté mondaine. Furent-ils simplement bons amis ? « Je suis sûr qu'elle lui plaisait, déclare James Simpson, directeur de Pol Roger Royaume-Uni, mais ce n'était qu'une amitié d'automne sans malice comme l'a dit quelqu'un ». Churchill promit que, s'il devait être invité à ce qu'il considérait comme « l'adresse la plus délectable du monde», il foulerait de ses pieds nus le raisin. Il n'ira jamais à Epernay, mais Odette s'assura de lui faire parvenir, à chacun de ses anniversaires, une caisse de son millésime favori (1928) jusqu'à épuisement des stocks. En son honneur, il baptisera son cheval de course préféré Pol Roger.
En 1975, dix ans après sa mort, la Maison lui rend hommage en éditant une cuvée millésimée Sir Winston Churchill avec un liseré noir. Ce n'est qu'en 2003 que la Maison quitte le deuil, lorsqu'elle retrouve la licence de fournisseur royal britannique qu'elle s'était vu retirer dans les années 1930. «Toutefois, encore aujourd'hui, il arrive qu'un vieil excentrique se plaigne de la disparition du liseré noir», précise Simpson.
La Maison de champagne familiale conserve son indépendance, notamment parce qu'elle possède 91 hectares de vignobles qui assurent la moitié de ses besoins pour une production de 1,6 million de bouteilles. Simpson admet que le marketing s'appuie peut-être trop sur leur célèbre client, mais, ajoute-t-il: «Si tout le monde se souvient de Pol Roger comme d'une Maison familiale et de la boisson préférée de Churchill, c'est déjà beaucoup mieux que pour la plupart des autres champagnes. »
Les bouteilles de Champagne Pol Roger retrouvées après plus d'un siècle dans les caves.
Le 23 fevrier 1900, la cave de Pol Roger à Epernay s’est effondrée en raison de conditions climatiques extrêmement froides et humides qui ont détérioré les fondations. Le sous-sol s’est affaissé et en surface le terrain est descendu de quelques 4 mètres. Ce sont quelques 1,5 million de bouteilles et 500 foudres qui sont ensevelies. Les fils de Pol Roger, Maurice et Georges, avaient l’espoir de pouvoir dégager le vin enseveli des décombres. Cependant, après un accident similaire sur la propriété voisine de Godart-Roger, ils abandonnèrent leurs espoirs.
C’est presque 118 ans plus tard, lors d’études préalables à des travaux de modernisation de leur outil de production sur ce même site, que le premier flacon intact est remonté. Jusqu’à présent ce sont une vingtaine de bouteilles de champagne datant de 1887-1898 qui ont été remontées. Le contenu de ces bouteilles pourrait encore être intact d’après la maison de champagne...
L'histoire se poursuit avec la déclaration de Patrick Schmitt de Drinks Business, qui décrit ainsi l’événement: "Hier, plusieurs mois après la fin des explorations souterraines, il a été décidé d’ouvrir les premières bouteilles historiques, enfouies et de voir à quoi elles ressemblaient. Deux vins ont été ouverts très progressivement dans les installations d’embouteillage de Pol Roger avant d’être ensuite servis dans sa salle de dégustation à un petit groupe de presse."
La question qui ne cesse de nous tenir en haleine demeure : le champagne issu de ces fouilles est-il encore "bon" ? Toujours selon ce passionné du champagne, Patrick Schmitt : "le premier vin serait le plus jeune, probablement du millésime 1897, car il était encore sur ses lies, et aurait subi une fermentation secondaire lorsque la cave s’est effondrée." Le chef de caves de Pol Roger, Damien Cambres, a décrit le Champagne, qui avait perdu son éclat, comme "contenant des arômes d’épices et de vanille, comparant le nez et les saveurs du vin au cognac vieilli. "
"La seconde, que l’on pense être plus âgée, dégorgée et dosée, semblait avoir un peu plus de « volume»" selon Damien Cambres, avec « une fraîcheur extraordinaire, des agrumes et des fruits exotiques." Les deux vins ont émerveillé par leur caractère vif et, malgré leur état ancien, par le fait qu’ils étaient encore agréables à boire.