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L'Histoire du Champagne : L'avènement du Champagne

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En 1780, les ventes de champagne ont déjà doublé et atteignent 288 000 bouteilles. Il est difficile de donner avec précision la proportion de vin pétillant - sans doute pas plus d'un dixième. De même, le vin était-il expédié en fûts ? Bu directement comme un vin tranquille ou soumis à une seconde fermentation après adjonction de sucre ? Dans tous les cas, en 1794, les guerres napoléoniennes font grimper le prix du champagne en Angleterre à 90 shillings la caisse (six bouteilles), soit le double de n'importe quel autre vin.

La naissance de l'Empire Veuve-Clicquot

Sous le nouveau régime de Napoléon, la famille Moët fait partie des privilégiés puisque Jean-Rémy Moët (1758-1841) est élu maire d'Épernay dès 1792. Sept ans plus tard, un certain François-Marie Clicquot épouse, en secret dans une cave, Barbe-Nicole Ponsardin. La légende dit que le curé remet aux jeunes mariés un livre sur dom Pérignon. Le père de François-Marie Clicquot est un banquier et marchand local qui possède un vignoble près du village de Bouzy, à l'est d'Épernay, ainsi qu'une petite cave ; du côté Ponsardin, les choses se présentent encore mieux puisque le père de la mariée est un prospère marchand drapier, membre du club des Jacobins, que Napoléon nomme maire de Reims.

En 1805, M. Clicquot meurt, laissant une fillette de trois ans, des affaires dans la banque, la laine et le champagne, et Barbe-Nicole, sa veuve de 27 ans. Madame veuve Clicquot aura une influence considérable sur le champagne, et plus particulièrement sur sa Maison. Dans une société où les femmes sont confinées à la vie domestique, mœurs que renforce le Code Napoléon, le veuvage constitue leur seule porte de salut vers l'émancipation, pour mener leurs propres affaires. 

Sous l'impulsion de son époux, les ventes étaient passées de 8 000 bouteilles en 1796 à 60 000 en 1804, avant son décès. Las, comme la guerre en Europe dure et que le blocus de la Royal Navy se fait toujours plus rigoureux, les perspectives paraissent bien sombres...

Les ventes de Veuve Clicquot tombent à 10 000 bouteilles par an, et Alexandre Fourneaux, associé de toujours, abandonne le navire. En 1810, Louis Bohne, principal émissaire de la Maison, note : «Affaires très calmes»; « Pas de trafic maritime à cause de la flotte anglaise. À Vienne, la noblesse n'a pas d'argent pour payer les courtiers parce qu'elle n'a pas vendu de blé depuis trois ans, prix vertigineux. » Sans doute fait-il allusion au champagne pétillant, encore très différent de celui que nous savourons aujourd’hui. Plutôt trouble, il peut effectivement être décanté, au risque d'éliminer la majeure partie des bulles; il est dix fois plus sucré qu'un brut actuel, et n'en possède pas les fines bulles élégantes. Plus grosses, plus gazeuses, elles évoquent plutôt la bière, au point que madame Clicquot les surnomme « yeux de crapaud».

La technique de la Veuve

La veuve se lance dans l'art du remuage. Son chef de cave, Antoine-Aloys de Muller, découpe des trous inclinés dans un vieux pupitre et y glisse les bouteilles, goulot vers le bas. Pendant quatre mois, il faut faire faire à la bouteille un quart de tour chaque jour et la remuer légèrement pour que les sédiments se déposent dans le goulot, tout en redressant légèrement la bouteille. Au moment du dégorgement, on jette le bouchon et les sédiments et on procède au dosage pour compléter la perte avec la liqueur de tirage, avant de la reboucher aussi vite. À l'origine, les ouvriers insèrent les bouchons avec les dents (une manne pour les dentistes champenois), avant d'utiliser un maillet puis, à partir de 1827, une machine.

«L'eau de source n'est pas si claire», clame Louis Bohne à propos de ce champagne amélioré. Madame Clicquot voit ses rivaux adopter sa méthode. En 1811, une comète traverse le ciel de la région, annonçant le premier millésime (et meilleur?) de tous les temps, puisqu'il reprendra le nom de cet événement. 

Les Russes commencent à apprécier le vin effervescent, mais le tsar bannit les importations de vin français en 1812. Flairant l'opportunité, Bohne fait voile vers Königsberg, sur la côte de Prusse, et vend sa cargaison avant même d'atteindre Saint-Pétersbourg. « Ils tirent tous la langue pour le goûter », écrit-il au sujet du célèbre vin de la Comète, «et s'il est aussi bon qu'il est beau, tous vont finir par m'adorer».

Le champagne à l'assaut de la Russie

D'autres négociants lorgnent le marché russe. En 1812, monté sur un étalon blanc pour aller vendre son champagne au vainqueur (quel qu'il soit), Charles-Henri Heidsieck précède l'armée de Napoléon dans Moscou. Deux ans plus tard, les troupes russes et prussiennes envahissent la France et occupent Reims. Quand les Cosaques déferlent dans les vignobles et pillent les réserves, madame Clicquot et ses confrères se mettent à murer frénétiquement leurs caves.

C'est vers cette époque qu'un officier de cavalerie ouvre une bouteille d'un coup de sabre, geste qui donne naissance à l'expression « sabrer le champagne ». Peu importe si cet officier était un Cosaque ou un beau hussard français, cet épisode a certainement accentué le glamour du précieux vin. Durant les interminables négociations du congrès de Vienne (de septembre 1814 à juin 1815) et la bataille de Waterloo, le champagne fait son apparition à d'innombrables réceptions et diners, et devient indissociable de la fête, de la célébration et de la réconciliation.

Pendant que Veuve Clicquot puis Roederer concrétisent leurs liens avec la Russie, qui devient vite le deuxième marché à l'exportation après la Grande-Bretagne, de nouvelles Maisons apparaissent à Épernay et à Reims. Henriot ouvre en 1808, suivi de Perrier-Jouët et Laurent-Perrier; dans les années 1820, c'est le tour de Mumm et Bollinger; enfin, dix ans après, arrivent Pommery et d'autres. L'ancienne route de Châlons d'Épernay devient la prestigieuse avenue de Champagne. En 1848, un livre sur l'origine du champagne affirme que : « Les vins effervescents ont fait la fortune de vingt marchands (et) assuré un honnête revenu à cent autres. » Le champagne arrive à maturité.